Une question d’aliments nutritifs et locaux
Les institutions publiques se doivent de respecter des principes se trouvant dans les politiques-cadre et/ou cadres de référence qui s’appliquent à leur milieu, dans le but d’offrir des aliments nutritifs à leur clientèle. Cela peut donc relever du défi!
Alors, comment prioriser les aliments nutritifs, tout en misant sur les aliments locaux? Tout d’abord, il faut se référer à la nature de l’aliment : quel est l’aliment? Quelle est sa valeur nutritive? Quel est son niveau de transformation? Les réponses à ces questions pourront orienter nos choix vers des aliments qui sont avant tout nutritifs, pour ensuite y inclure des notions locales : des aliments qui poussent et sont transformés (le moins possible) le plus près de chez nous, avec le moins d’intermédiaires possibles. Sachant cela, il importe de se questionner sur les défis, les leviers et les besoins pour un approvisionnement alimentaire local et nutritif en milieu institutionnel.
Pour répondre à ces questionnements, la première partie de cette page fait ressortir les éléments intéressants d’une revue de littérature réalisée par l’INAF à l’automne 2023, portant sur les facteurs facilitants et les barrières à l’implantation d’une offre alimentaire nutritive dans les institutions. La seconde partie de cette page présente les opinions des personnes ayant participé à un atelier de discussion réalisé à l’été 2023, incluant des acteurs(-trices) importants(-es) dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire institutionnelle.
Ce qui ressort de la littérature
Dans la littérature, plusieurs équipes de recherche se sont intéressées à l’identification de facteurs facilitants et de barrières à l’implantation d’une offre alimentaire plus nutritive dans différents milieux institutionnels. Ces facteurs facilitants et barrières peuvent être regroupés en différentes thématiques.
Il est à noter que ces facteurs facilitants et barrières sont des perceptions; ils ont été soulevés par différents acteurs de la chaîne d’approvisionnement alimentaire institutionnelle, via des sondages et des entrevues sur ce qu’ils ont observé dans leur milieu, ou sur ce qu’ils anticipent comme barrières. Ainsi, d’autres facteurs facilitants et barrières peuvent exister, et elles peuvent varier selon le milieu.
Lignes directrices et offre de produits
Facteurs facilitants :
- Créer des guides ou des outils plus simples pour aider à planifier des menus qui respectent les lignes directrices en matière d’alimentation saine ou les critères nutritionnels recherchés (5).
- Fournir des exemples de menus qui respectent les lignes directrices en matière d’alimentation saine (1).
- Faire affaire avec des fournisseurs ayant une bonne disponibilité d’aliments qui respectent les critères nutritionnels (8).
Barrières :
Préférences de la clientèle
Facteurs facilitants :
- Une clientèle ouverte aux changements et consciente de l’importance de l’alimentation saine et de la santé (8).
- Faire de l’éducation et une bonne communication auprès de la clientèle pourrait faciliter l’acceptabilité (8).
- Offrir des aliments frais et variés pourrait aider à la satisfaction de la clientèle (6).
- Utiliser des stratégies pour promouvoir l’alimentation saine pourrait aider à influencer le comportement de la clientèle (2,8).
- Par exemple, mettre en vedette les aliments plus nutritifs, et les vendre moins cher par rapport aux aliments de moins bonne valeur nutritive.
Barrières :
- La clientèle desservie par le service alimentaire de l’institution peut avoir une préférence pour des aliments de moins bonne valeur nutritive (3,8). Le retrait ou la substitution de certains aliments par d’autres pourrait donc être moins bien reçu.
- Cette perception n’est pas nécessairement fondée (1-3).
- Certains services alimentaires perçoivent qu’ils doivent continuer à offrir des aliments de moins bonne valeur nutritive pour garder leur clientèle et demeurer concurrentiel avec d’autres commerces extérieurs situés à proximité des établissements (2-3,6).
Attitudes des acteurs impliqués
Facteurs facilitants :
- Encourager une meilleure communication et collaboration entre les employés ainsi qu’entre les gestionnaires et leurs employés (1,5,7-8).
- Avoir des gestionnaires engagés, ouverts, qui ont confiance en leurs employés et qui leur donnent de la liberté dans leur travail et leurs décisions (2,7).
- Faire partie d’une communauté et d’une organisation qui supporte les changements (7).
- Encourager la confiance des employés envers leur capacité à faire des changements et s’assurer qu’ils voient l’utilité des changements à effectuer (4).
Barrières :
- Résistance au changement des employés des services alimentaires (3,7).
- Manque de leadership, d’engagement et de reconnaissance des gestionnaires envers leurs employés (3,4).
- Manque de soutien général, autant à l’intérieur (collègues et gestionnaires) qu’à l’extérieur de l’institution (parents des élèves, membres de la communauté) (2,3,5).
- Manque de communication entre les différents acteurs du milieu (par exemple entre les employés des services alimentaires et les éducateurs) (3).
Ressources humaines et financières
Facteurs facilitants :
- Impliquer des stagiaires en nutrition dans la mise en place de changements (8).
- Mieux anticiper les coûts supplémentaires engendrés et planifier des stratégies pour les contenir (1).
- Par exemple, rechercher les prix les plus bas, surveiller les ventes et les rabais, acheter en vrac et en plus grande quantité (9).
- Se fixer des objectifs SMART (spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes, temporels) et faire des changements de façon graduelle (1,5).
Barrières :
- Apporter des changements à l’offre alimentaire implique une perception de temps et de ressources financières supplémentaires (7,8), qui ne sont pas toujours disponibles (1,3-5,8).
- Les ressources seraient nécessaires, par exemple, pour former le personnel, acquérir de nouveaux équipements, évaluer la valeur nutritive des menus, évaluer l’impact des changements effectués, acheter des aliments de meilleure valeur nutritive (7,8).
Connaissances et compétences des services alimentaires
Facteurs facilitants :
- S’assurer que les employés aient une bonne connaissance des lignes directrices en matière d’alimentation saine en vigueur dans leur institution (4).
- Fournir de la formation et des ressources pour les employés afin de développer leurs connaissances et compétences en matière d’alimentation saine (1,5).
- Favoriser la mise en place de communautés de pratique pour le partage d’informations (1).
- Identifier des barrières potentielles au préalable et réfléchir aux solutions permettant de les surmonter (5).
Barrières :
- Manque de connaissances des employés des services alimentaires en ce qui a trait aux lignes directrices en matière d’alimentation saine en vigueur dans leur institution (1,3-5).
- Manque de compétences pour appliquer ces lignes directrices dans la planification des menus (1,3-5).
- À cela s’ajoute le manque de confiance des employés envers leurs compétences réelles perçues (1).
- Manque de planification efficace des menus (4).
Ce qui ressort des milieux
Une trentaine d’institutions, d’entreprises de gestion de services alimentaires et de collaborateurs(-trices) de l’approvisionnement alimentaire en milieu institutionnel au Québec ont ainsi été consultés. À cette occasion, des défis et des leviers ont été recensés pour mettre en lumière comment les institutions doivent faire des choix d’aliments qui sont à la fois nutritifs et locaux.
Quatre composantes principales ont été soulignées, reflétant les réalités québécoises en la matière :
Disponibilité et accès aux aliments nutritifs et locaux
Le Québec étant un vaste territoire avec des régions ayant des réalités différentes, la disponibilité des aliments peut grandement varier. Par exemple, des régions rurales ont parfois plus facilement accès à des aliments nutritifs et locaux que des régions urbaines, de par la proximité des territoires agricoles. Les divisions administratives des régions peuvent également comporter des défis : les plus petits producteurs ont souvent de la difficulté à offrir une livraison similaire à l’ensemble des institutions se trouvant dans une même région administrative, mais très éloignées les unes des autres.
Sur le plan de l’institution, l’accessibilité aux aliments nutritifs et locaux peut être complexifiée par des facteurs parfois présents lors de l’achat d’aliments :
- La valeur nutritive des aliments locaux n’étant pas toujours similaire à leurs équivalents importés;
- La gestion de plusieurs fournisseurs différents (alourdissement du processus de commandes), surtout pour les plus grandes institutions;
- Les formats de produits locaux (ex. légumes pré-coupés) et/ou leurs emballages (ex. petits pots de confiture) souvent non adaptés pour le milieu ’institutionnel;
- Les normes d’utilisation du logo « Aliment du Québec » et « Aliment préparé au Québec » pouvant être confondantes, et ne reflètent pas la valeur nutritive de l’aliment (d’ailleurs, ceci n’est pas l’objectif du logo);
- Le manque d’équipement et/ou d’espace pour la transformation d’aliments nutritifs et locaux (tels que les fruits et légumes québécois) à même l’institution.
Néanmoins, il existe des leviers qui peuvent simplifier l’accessibilité à ces aliments. Par exemple, le Carrefour de l’Industrie Bioalimentaire de l’Île de Montréal (CIBÎM) organise annuellement des rencontres d’acheteurs (en février), au cours desquelles les institutions peuvent rencontrer une multitude de producteurs et fournisseurs alimentaires pour explorer l’offre constamment grandissante d’aliments québécois et nutritifs sur le marché. Ces rencontres peuvent ainsi faciliter l’approvisionnement en ces aliments dans les institutions et favoriser le maillage entre les producteurs, les fournisseurs et les acheteurs des services alimentaires en institution.
Des partenariats de transformation peuvent aussi simplifier la démarche vers la transformation d’aliments nutritifs et locaux, en comblant le maillon manquant dans la chaîne allant du producteur à l’institution. Ceci pourrait contourner le besoin d’équipement et d’espace de transformation au sein de l’institution, tout en permettant l’approvisionnement en aliments nutritifs et locaux. Ainsi, l’institution pourrait bénéficier de fruits et légumes parés, coupés et lavés pour bonifier son offre d’aliments à la fois nutritifs et locaux. L’aube, pôle nourricier a d’ailleurs débuté un projet pilote de transformation primaire de légumes locaux en 2023 pour, entre autres, tester des formats de légumes biologiques transformés pour le marché institutionnel, en partenariat avec le projet Cultiver l’Espoir.
Contraintes légales à l'approvisionnement institutionnel
L’ensemble des établissements du marché institutionnel public est soumis à la Loi sur les contrats des organismes publics (LCOP) et aux accords de libéralisation des marchés publics. Le processus d’approvisionnement dans ces milieux doit ainsi respecter les règlements associés à la LCOP et permettre l’accès au marché public québécois à partir du moment où le seuil d’application des accords est atteint.
Ainsi, la législation et la gestion des contrats sont des défis pour les institutions visées. Devant la règle du plus bas soumissionnaire dans les appels d’offres publics et sur invitation, un organisme public sollicite uniquement un prix pour adjuger un contrat d’approvisionnement, les institutions ont parfois les mains liées quand elles doivent choisir des aliments à la fois nutritifs et locaux pour leurs services alimentaires. Par le fait même, les institutions publiques ont un budget limité pour le secteur de l’alimentation. Puisque les aliments locaux, bio-locaux et/ou de niche peuvent parfois être plus chers que leurs contreparties, les institutions se doivent de choisir les aliments au plus bas prix, souvent non locaux. La constante hausse des prix des denrées alimentaires en conjonction avec les budgets limités peut entraîner des conséquences négatives sur le choix d’aliments locaux et de bonne valeur nutritive.
Malgré la présence de politiques-cadre et de cadres de référence pour les institutions en matière d’alimentation saine, des défis demeurent quant à leur application par les institutions et les entreprises bioalimentaires. Des stratégies d’acquisition innovantes, des directives plus claires, précises et ambitieuses, ainsi que plus de moyens pour pouvoir par exemple accorder une marge préférentielle liée au développement durable, pourraient être des facteurs facilitants pour les institutions.
Cependant, des avancées significatives ont eu lieu dans les dernières années, créant un momentum pour les aliments nutritifs et locaux dans les institutions. Depuis 2020, les institutions publiques sont incitées à se doter d’une cible d’achats locaux dans le cadre de la Stratégie nationale d’achat d’aliments québécois du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ).
Au niveau fédéral, Santé Canada a introduit un règlement concernant l’étiquetage nutritionnel sur le devant de l’emballage des aliments préemballés. Les étiquettes devront désormais avertir les consommateurs que l’aliment est riche en gras saturés, en sucres et/ou en sodium. Les entreprises bioalimentaires devront procéder à l’ajout de ces avertissements d’ici janvier 2026. Ces changements pourraient aider les consommateurs, et par le fait même les institutions, à identifier les aliments à privilégier.
Le fait que plusieurs instances gouvernementales priorisent les aliments durables (incluant les aliments nutritifs et locaux) renforce la position des institutions qui souhaitent faire des changements en ce sens.
Connaissances et informations fiables
Sur le plan de la chaîne d’approvisionnement alimentaire, il semble y avoir un manque de connaissances générales des rôles et des réalités de chacun des acteurs de la chaîne. Cela dénote ainsi une faible concertation entre ceux-ci. Bien que Commun’assiette travaille à créer un réseau de personnes-ressources clés en matière d’approvisionnement alimentaire institutionnel, cette initiative ne pourra pas, à elle seule, répondre à la demande pour avancer collectivement.
Au sein des équipes des services alimentaires dans le milieu institutionnel, plusieurs contraintes créent des défis vers un approvisionnement en aliments nutritifs et locaux :
- Manque de main d’œuvre et roulement de personnel;
- Manque de compétences des équipes en cuisine, par exemple pour la transformation et la conservation des aliments nutritifs et locaux;
- Manque de temps de transformation et préparation en cuisine;
- Manque de formation adéquate (ex. suivi des achats, identification des aliments à la fois nutritifs et locaux, possibilités d’approvisionnement en dehors des appels d’offres);
- Manque de diététistes-nutritionnistes en soutien aux institutions.
Globalement, il y a également une problématique de définition du terme « local » et des priorités de l’organisation. Il arrive que le critère « local » prime sur le critère « sain », mettant ainsi en valeur des aliments locaux qui ne sont pas nécessairement de bonne valeur nutritive. De plus, en combinant avec d’autres critères, tel que l’écoresponsable, la tâche devient très complexe pour les institutions qui doivent faire des choix d’aliments de façon quotidienne.
La définition et le contexte de l’alimentation saine en milieu institutionnel peuvent également être difficiles à prendre en compte avec les aliments locaux. Par exemple, les légumes verts foncés qui sont priorisés par le Guide alimentaire canadien ne sont pas forcément toujours disponibles à l’année, avec les quatre saisons du Québec qui affectent la disponibilité des produits locaux. Toutefois, dans les dernières années au Québec, des techniques de production ou de conservation ont permis d’allonger les périodes de disponibilité d’un grand nombre d’aliments locaux. Le contexte public des institutions fait en sorte qu’elles doivent se conformer à certaines exigences, notamment inscrites dans les politiques-cadres et les cadres de référence. Cela peut donc être un défi pour les institutions de concilier alimentation saine et locale dans leur milieu.
Ainsi, les leviers pour favoriser l’achat d’aliments locaux et de bonne valeur nutritive tournent principalement autour de l’augmentation des connaissances, de la sensibilisation et de la collaboration entre tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement alimentaire. Une bonne ouverture de la direction et une équipe qui ancre ses projets dans des valeurs durables peuvent aider à assurer une pérennité des actions entreprises par les institutions. Des événements de sensibilisation, tel que l’événement annuel Les institutions mangent local! permettent de prendre connaissance, de développer des compétences, d’utiliser les expertises des équipes et de faire rayonner leurs efforts. Des comités de développement durable (tels que ceux présents dans les centres de services scolaires) peuvent encourager les institutions à acheter des aliments nutritifs et locaux.
Des maillages avec des producteurs de proximité sont aussi des leviers importants au niveau institutionnel. Ces maillages pourraient :
- Réduire les coûts des aliments en réduisant le nombre d’intermédiaires dans la chaîne d’approvisionnement;
- Augmenter les connaissances sur la saisonnalité des aliments et permettre une plus grande flexibilité des menus;
- Aider à trouver des solutions pour des problématiques fréquentes (entreposage et/ou transformation d’aliments);
- Potentiellement favoriser une meilleure valeur nutritive des produits locaux si les producteurs utilisent des pratiques favorisant la santé des sols.
Répondre aux besoins des usagers
La planification des menus dans les institutions publiques doit se faire en appliquant les politiques-cadre et/ou cadres de référence en vigueur. À priori, les menus devraient déjà miser sur une alimentation saine, répondant aux besoins des usagers. Ainsi, l’ajout de principes d’alimentation locale peut complexifier la tâche. À des fins logistiques, les menus sont planifiés souvent sur une base annuelle ou bi-annuelle, rendant plus difficile, mais pas impossible l’intégration de produits locaux.
Les cultures et les préférences des usagers peuvent également différer selon la région et selon les types de clientèles. Ceci peut être à la fois un défi et un levier, sachant que certaines cultures préfèrent des aliments nutritifs que l’on retrouve en abondance au Québec. La substitution des protéines animales par des options végétales est un bon exemple : elle peut être moins acceptable pour certaines clientèles, mais bienvenue chez d’autres.




Besoins pour favoriser un approvisionnement alimentaire sain et local
Lors de l’atelier de discussion de juin 2023, les institutions ont exprimé plusieurs besoins pour favoriser un approvisionnement alimentaire local et nutritif. Les plus prioritaires, classés par catégories, se retrouvent ici :